Pour passer du sévère au léger, du savant au futile, voici quelques « coquineries » de bon aloi (du moins à mon goût…)

 

Coquineries à propos de BAGATELLE…

Si vous voulez vous promener
Dans ce Bois, charmante Isabelle,
Nous pourrons, sans nous détourner,
Aller jusques à Bagatelle.

Partons, donnez-moi votre bras,
La cinquième heure nous appelle ;
En cheminant à petits pas,
Nous parlerons de Bagatelle.

Quoi ! déjà votre pied mignon
Dans ce sable, tourne et chancelle !
Asseyons-nous sur ce gazon :
C’est le chemin de Bagatelle.

Ces trois premiers couplets des « Stances sur le château de Bagatelle, appartenant à Mgr le Comte d’Artois » sont cités à la date du 2 juin 1784 par Métra dans sa Correspondance secrète, politique et littéraire, Londres, John Adamson, 1789, tome XVI, p. 217.


Fait, Faire

« Il faudrait, s’écriait un jour le bon Auger,
   Jeter tous les cocus au fond d’une rivière ! »
« C’est fort bien dit , répond sa ménagère,
   Mais, mon ami, sais-tu nager ? »


La leçon de grammaire

Madame la marquise, au fond d’une bergère,
Ayant fermé son livre et ne songeant à rien,
Écoute en somnolant la leçon de grammaire
Que l’on donne à sa fille en un salon voisin.

Le précepteur est jeune, il a quelque expérience;
Agnès, fort attentive, écrit sous sa dictée,
Cependant qu’il la frôle avec tant d’insistance
Qu’elle défaille un peu, consentante et troublée.

L’audacieux précepteur pousse son avantage
D’un baiser. Brusquement, il saisit l’occasion,
Cependant que sa main se fraye un doux passage
Sous le tissu léger d’une robe en nylon.

Le silence s’est fait. La mère, trop confiante,
Tirée de son sommeil, demande : « Où en est-on ? »
Et sa fille, troublée, lui répond, haletante :
« Nous en sommes, ma mère, à la conjugaison. »

Or, le temps se prolonge en étoffes froissées,
En doux gémissements, en soupirs étouffés.
Et la mère, insistant d’une voix plus pressante :
« Mais où donc en est-on ? A quel temps, s’il vous plaît ? »

Et la voix lui déclare, éteinte, agonisante :
« Nous en sommes, ma mère, oh !… au plus-que-parfait ! »
Abel Jacquin (1893–1968)


Le mot et la chose

Madame, quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose ?
On vous a dit souvent le mot,
Òn vous a fait souvent la chose…
Ainsi, de la chose et du mot,
Vous pouvez dire quelque chose…
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose…

Pour moi, voilà quel est mon mot
Et sur le mot, et sur la chose :
J’avouerai que j’aime le mot,
Pour moi, voilà quel est mon mot
Et sur le mot, et sur la chose :
J’avouerai que j’aime le mot,
J’avouerai que j’aime la chose…
Mais c’est la chose avec le mot
Et c’est le mot avec la chose.
Autrement, la chose et le mot
A mon gré seraient peu de chose.

Je crois même, en faveur du mot,
Pouvoir ajouter quelque chose.
Une chose qui donne au mot
Tout l’avantage sur la chose :
C’est qu’on peut dire encore le mot
Alors qu’on ne peut plus la chose.
Et si peu que vaille le mot…
Enfin, c’est toujours quelque chose !

C’est de Gabriel Charles, abbé de Lattaignant, 1697-1779, mieux connu comme l’auteur de la chanson célèbre “J’ai du bon tabac ...”


Quatrains futiles

Aimer est facile ;
Le dire l’est autant.
Mais le plus difficile
Est de rester constant…

Quand, sur cette page,
Ton œil rêveur s’arrêtera :
Pourras-tu retracer l’image
De celui qui toujours t’aimera ?

Si tu savais combien je t’aime !
Surtout si tu savais comment…
Tu me prendrais pour amant,
Tout simplement !


CHARADES POÉTIQUES

Le départ du courrier

Pars, confident discret ! Vas ! mais dans le voyage,
Évite et le Chasseur, et le cruel Vautour.
Souviens-toi que ton sort est de servir l’Amour
Et qu’un baiser d’Agnès est le prix du message.

Légende d’une gravure de Pierre Nicolas Beauvalet (1750-1818), d’après François Boucher (1703-1770), dédiée à Madame la marquise de Montesquiou. Lu au Musée des Beaux-Arts de Rouen le 1.X.1976.
Qui est ce « confident discret » ?…

Une charade latine

Parve puer, lumen quod habes concede sorori * :
Sic tu caecus amor, sic erit illa Venus.

* Var. : Blande puer … concede puellae

De quelle affection ces jeunes et belles personnes sont-elles affligées ?…

Cette charade versifiée serait du médecin et poète néo-latin Girolamo [Geronimo] Amalteo (Oderso 1507-1574), De gemellis luscis, qui appartenait à une illustre famille de peintres, médecins et poètes : ses frères Cornelio (1530-1603), également médecin, et Giovanni Battista (1525-1573), secrétaire du pape Pie IV. Leurs poèmes sont réunis dans Trium Fratrum Amaltheorum Carmina, Venise, Typis Andreae Muschi, 1627, 280 p.; 2e éd. Amsterdam, Westen, 1689. Autres édition réunie aux oeuvres de B. Sannazzaro : Amsterdam, 1728 (+ Londres ? 1728) ; Venise, 1817.
Voltaire cite cette épigramme dans ses « Notes du Chant Premier de la Henriade » (éd. de 1784, t. x, p. 204), sans nommer le « poète italien ». Il y serait fait allusion à Louis de Maugiron, baron d’Ampus, mignon d’Henri III, et à la princesse d’Eboli, maîtresse de Philippe II d’Espagne, tous deux [c’est là leur infirmité, à découvrir ! Pas facile…]. Mention aussi dans Byron, Letters and Journal, p. 573 (« Inspiration of Passion »), et dans Formeron, Histoire de Philippe II, tome 3, p. 55. (7.VIII.10)

Autre charade poétique, du XIXe siècle (Madame Ackermann), mais je l’insère ici avec les autres. Qui suis-je ?
Comme un mirage errant, je flotte et je voyage.
Coloré par l’aurore ety le soir tour à tour,
Miroir aérien, je reflète au passage
             Les sourires changeants du jour.

A venir : quelques « péchés de jeunesse ». J’hésite encore, par crainte du ridicule.