Le Romantisme n’a pas attendu le XIXe siècle pour être… romantique. Corneille, vieux, mais à la passion encore fraîche, était déjà un grand romantique avant la lettre.
A MARQUISE
A voir ce que je suis, tout mon espoir chancelle ;
Mais le peu que je vaux ne vous rend pas moins belle…
J’ai des yeux comme un autre à me laisser charmer…
J’ai, comme un autre, un coeur ardent à s’enflammer…
Et, dans les doux appas dont vous êtes pourvue,
J’ai dû brûler pour vous, lorsque je vous ai vue…
(Pierre Corneille, Élégie, vers 21-26)
Permettez seulement, pour vaincre mon martyre,
Que, vous osant aimer, j’ose aussi vous le dire ;
Qu’à vos pieds mon respect apporte chaque jour
Les serments redoublés d’un immuable amour.
(Id., vers 125-128)
Voici que frissonne l’espace
Comme un long baiser.
Ne peut jaillir ni s’apaiser.
En remontant les siècles (même au Grand Siècle classique, on aimait s’attarder dans les jardins du Tendre) :
Que d’attraits, que d’appas vous rendaient adorable !
Que de traits, que de feux me vinrent enflammer !
Je ne verrai jamais rien qui soit tant aimable,
Ni vous, rien désormais qui puisse tant aimer.
Les charmes que l’amour en vos beautés recèle
Étaient plus que jamais puissants et dangereux.
O dieux ! qu’en ce moment mes yeux vous virent belle,
Et que vos yeux aussi me virent amoureux.
Voiture (1598-1648), Stances, strophes 2-3.
Prête-moi ton sein pour y boire
Des odeurs qui m’embaumeront;
Ainsi mes sens se pâmeront
Dans les lacs de tes bras d’ivoire.
Je baignerai mes mains folâtres
Dans les ondes de tes cheveux,
Et ta beauté prendra les voeux
De mes oeillades idolâtres.
Théophile de VIAU (1590-1626), La Solitude.