Que de feu brûlant se dissimule derrière le voile de l’impassibilité mallarméenne dont l’hermétisme supposé me semble au contraire très révélateur d’une passion inassouvie !

Tristesse d’été

Le soleil sur le sable, ô lutteuse endormie,
En l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux.
Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
Il mêle avec mes pleurs un message amoureux.

Dans ce blanc flamboiement l’immuable accalmie
T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
« Nous ne serons jamais une seule momie
Sous l’antique désert et les palmiers poudreux. »

Mais ta chevelure est une rivière tiède
Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède,
Et goûter au Néant que tu ne connais pas.

Je boirai le fard pleuré par tes paupières,
Pour voir s’il sait donner au coeur que tu frappas
L’insensibilité de l’azur, et des pierres.


Qui, de nos jours si précipités, prend encore le temps de relire – et encore moins de mémoriser – le célèbre sonnet de Jules Arvers (1806-1850), seul débris réchappé de ce grand naufragé des lettres, pourtant fort apprécié de son vivant ? Il est de bon ton, quand on daigne le citer encore, de lui reprocher sa mièvrerie larmoyante, épigone achevé de la poésie romantique à son crépuscule. Sa facture, pourtant, est de bonne tenue, sa rime riche, et, quant à moi, je le trouve assez musical, ce qui est l’essence même de la poésie (« une hésitation prolongée entre le sens et le son », selon Valéry) . Le voici donc de mémoire, ce sonnet si injustement décrié :

Le sonnet d’Arvers

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés et pourtant solitaire.
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’ayant rien demandé et n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite et sans entendre
Ces murmures d’amour échappés sur ses pas.

A l’austère devoir, pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc, cette femme ? » et ne comprendra pas.

On remarquera le passage des rimes alternées du premier quatrain aux rimes embrassées du second. Les cuistres considéreront cette “licence” comme une preuve de maladresse ou de médiocrité. J’y vois plutôt l’expression d’une émotion très intense et longtemps retenue.

Enfin, pour ceux que les pastiches destructeurs intéressent, Wikipedia reproduit une bonne demi-douzaine de parodies venimeuses pour se payer la tête de ce pauvre Arvers, dont une attribuée à nul autre que Victor Hugo et que la décence m’interdit de reproduire. Bien d’autres ne se sont pas privés de s’en moquer avec un humour facile, du genre : « Pauvre imbécile, tu n’avais qu’à demander et tu aurais reçu ! »

J’ajouterai seulement que “Ginzbar” (Serge Ginzbour) a mis le sonnet d’Arvers en musique, mais que cela est loin d’être réussi. Il a mieux fait avec Les feuilles mortes de Prévert et Kosma.


ATHÉISME

Alors que Baudelaire disait : « La plus belle ruse de Satan, c’est de nous faire croire qu’il n’existe pas », certains de ses contemporains ne se gênaient pas pour affirmer leur athéisme dans des vers brûlants comme l’enfer, auquel ils ne croyaient pas, évidemment. On est surpris de voir que l’un des auteurs les plus virulents en la matière est une femme, totalement oubliée (et c’est dommage) de nos jours, Madame Ackermann, née Louise-Victorine Choquet (1813-1890). De peu la cadette de Victor Hugo, celui-ci lui adressa des éloges sincères. Je l’ai découverte par hasard, en bouquinant le long de la Seine : un beau petit volume en demi-reliure, typique des éditions Alphonse Lemerre, avait attiré mon attention. Je me mis à le lire, jusqu’au moment où le patient bouquiniste me signala qu’il allait fermer son étal. C’était bien la moindre des choses que j’aie été son dernier acheteur de la journée… Voici Madame Ackermann.

O rêves des savants, ô chimères profondes !
[…]
Qu’importe qu’il soit Dieu si son oeuvre est impie ?
Quoi ! c’est son propre fils qu’il a crucifié ?
Il pouvait pardonner mais il veut qu’on expie :
Il l’immole, et cela s’appelle avoir pitié !
(Poésies philosophiques – Pascal, p. 156)
[…]
Passer sans demander autre chose à la vie

Que son voile d’un jour pour nous cacher les cieux.
(ibid. p. 149)
Ton prétendu flambeau n’a jamais sur la terre
Apporté qu’un surcroît d’ombre et de cécité ;
Mais réponds-nous d’abord : est-ce avec ton mystère
Que tu feras de la clarté ?
(De la lumière,  p. 136)
Délivré de la Foi comme d’un mauvais rêve,
L’homme répudiera les tyrans immortels,
Et n’ira plus, en proie à des terreurs sans trêve,
Se courber lâchement au pied de tes autels.
Las de le trouver sourd, il croira le ciel vide.
Jetant sur toi son voile éternel et splendide,
La Nature déjà te cache à son regard ;
Il ne découvrira dans l’univers sans borne,
Pour tout Dieu désormais, qu’un couple aveugle et morne,
La Force et le Hasard.
Prométhée, p. 102.

Écrire cela en 1871, au moment où Paris s’apprêtait à ériger la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, c’est très fort. Cela se situe dans la lignée des réflexions de Voltaire à la suite du terrible tremblement de terre de Lisbone en 1756 :

Pourquoi donc souffrons-nous sous un maître équitable ?
[…]
Il faut se l’avouer, le mal est sur la Terre.
Son principe secret ne nous est point connu.
De l’auteur de tout bien le mal est-il venu ?
[…]
Il visita la Terre, et ne l’a point changée !
La Nature est muette, on l’interroge en vain.

Madame Ackerman termine son recueil par ce « cri de l’esprit » avec lequel tout chercheur, tout savant, ne peut être que d’accord:

J’ignore ! un mot, le seul par lequel je réponde
Aux questions sans fin de mon esprit déçu ;
Aussi quand je me plains en parlant de ce monde,
C’est moins d’avoir souffert que de n’avoir rien su.

A propos d’athéisme, cette pensée des frères Goncourt me revient tout à coup à l’esprit. Je la crois assez juste :
« Si Dieu existe, l’athéisme doit lui paraître une bien moindre injure que tous les crimes commis au nom de la religion. »

 

Vieillir ensemble

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai dans le jardin qui s’ensoleille
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.
Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore de jeunes amoureux
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et nous ferons un couple adorable de vieux.
Nous nous regarderons assis sous notre treille
Avec de petits yeux attendris et brillants
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.

C’est de Rosemonde Gérard, poétesse distinguée mais dont on ne se souvient que comme épouse aimante d’Edmond Rostand, époux infidèle…


Curiosités poétiques

Au nombre des « curiosités poétiques », je retiens, au premier chef, celle-ci, attribuée à un autre poète oublié, Jules de Rességuier (1788-1862) ou, plus probablement, à son fils Paul, sur qui ne n’ai rien pu trouver. Admettons que c’est assez bien tourné…

Fort

Belle

Elle

Dort

Sort

Frêle

Quelle

Mort

Rose

Close

La

Brise

L’a

Prise


Une autre curiosité en forme de « causerie » entre un homme, « Charle » [sic, pour la rime : c’est une apocope], et une femme, « Yonne », orthographiée « Yionne » dans le texte. Elle est due au peintre-poète (et mendiant volontaire, à l’image de saint Benoît Labre !), Germain Nouveau (1851-1920), un familier de Verlaine , de Rimbaud et de Charles Cros, l’inventeur du phonographe avant Edison. On excusera sa tenue plaisamment graveleuse…

  Causerie
(au lit le matin)

Charle : Donne
Ton
Con
Bonne
Yionne !
Yionne : Non
On
Sonne !
Charle : Si ?…
Yionne : Qui
Parle ?
Chut !
Charle !…
Zut !

Transcrit de l’Album zutique, auquel Verlaine a participé, ainsi nommé parce que chaque pièce devait se terminer facétieusement par un ZUT !


Il y a aussi les monorimes, tels les suivants :

Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l’arène à la Tour Magne, à Nîmes.

C’est le plus célèbre, attribué parfois à Victor Hugo mais en fait de Marc Monnieur (1829-1885), professeur de littérature à l’Université de Genève. Il m’a incité à visiter la « Tour Magne, à Nîmes » en 2010, une très belle ville avec ses arènes et sa Maison carrée romaines.

L’humoriste Alphonse Allais en a commis plusieurs, dont :

Par les bois du djinn où s’entasse l’effroi,
Parle et bois du gin, ou cent tasses de lait froid !

Vingt verres vinrent vers vingt verres de vin vert.

A voir : le cerf-volant !
Avoir le cerveau lent.

De Lucienne Desnoues :

Ah ! ce qu’on sert de faux Ré
A ce concert de Fauré.

D’anonymes inspirés :

Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas !

Dans ton site sévère, assistant sa présence,
Danton cite ces vers, assis, stance après stance.

Les Français sont les grands maîtres des astuces verbales, pleines d’esprit. Je leur envie ce talent qui leur semble inné.