Quelques beaux poèmes d’amour de la Renaissance
(preuve que le sentiment romantique n’est pas l’apanage exclusif du XIXe siècle…)
Les lys me semblent noirs, le miel aigre à outrance,
Les roses mal sentir, les oeillets sans couleur,
Les myrtes, les lauriers ont perdu leur verdeur,
Le dormir m’est fâcheux et long en votre absence…
Mais les lys fussent blancs, le miel doux et, je pense,
Que la rose et l’oeillet ne fussent sans honneur,
Les myrtes, les lauriers fussent verts du labeur,
J’eusse aimé le dormir avec votre présence…
Que, si loin de vos yeux, à regret m’absentant,
Le corps enduroit seul, étant l’esprit content :
Laissons les lys, le miel, roses, oeillets déplaire,
Les myrtes, les lauriers dès le printemps flétrir,
Me nuire le repos, me nuire le dormir,
Et que tout, hormis vous, me puisse être contraire.
Agrippa d’Aubigné (1552-1630)
Magnifique poème d’amour, peut-être composé pour son égérie, Diane Salviati, qu’il ne put épouser parce qu’elle était catholique (lui était un huguenot intransigeant…) Remarquer l’heureux emploi de l’infinitif (le dormir) comme substantif : nous ne le conservons plus que dans des expressions comme “le laisser-aller”, “le boire et le manger”.
Et celui-ci…
Plus ne suis ce que j’ai été
Et ne saurai jamais l’être.
Mon beau printemps et mon été
Ont pris le champ par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t’ai servi sous tous les cieux.
Ah ! si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !
Jean de Sponde (1557-1595), un autre huguenot converti au catholicisme à la suite de Henri IV. Quel amoureux ne voudrait pas avoir inventé cette délicieuse épigramme…
Et du maître Ronsard :
Baisers
Pour effacer mon esmoy,
Baise-moy,
Rebaise-moy, ma déesse :
Ne laissons pas passer en vain
Si soudain
Les ans de notre jeunesse.
« Chanson pour Isabeau », dans Nouvelles poésies, 1563.