Éléments d’héraldique : le BLASONNEMENT

 

Ceci, on le devinera, est un blason tout à fait imaginaire (et illégitime…), imaginé à la suite d’une visite en famille en août 2002 au château de Lamartine à Saint-Point, près de Mâcon en Bourgogne, un terroir magnifique où mûrit la pampre séculaire et où paissent de blancs moutons dans le vallon chanté par le barde de Jocelyn. Nous avions eu la chance d’y rencontrer les lointains descendants du poète (par mariages morganatiques) qui, reconnaissant notre « charmant accent québécois », nous prirent d’amitié et nous firent des confidences qu’ils n’auraient jamais faites à leurs compariotes… Que les charges de ce grand manoir, d’un goût douteux par suite des modifications apportées par Lamartine lui-même, étaient devenues trop onéreuses, que les subventions de l’État ne suffisaient plus, que les visiteurs commençaient à se faire trop nombreux et importuns — bref, ils cherchaient à vendre. Il n’en fallait pas plus pour que nous nous voyiions les futurs propriétaires adoubés de ce véritable trésor historique, hôte de réceptions mémorables, sis dans un décor bucolique, abandonnant à nos notaires respectifs les vulgaires détails pécuniaires… Nous nous mîmes aussitôt en frais de nous composer une noblesse imaginaire, scellée dans un blason idoine…
En réalité, j’avais depuis longtemps souhaité apprendre la vocabulaire ésotérique de la langue héraldique, dont les termes mystérieux aux sonorités étranges, venus tout droit du Moyen Age, m’étaient restés en mémoire depuis l’époque lointaine où je les avais rencontrés en tournant au hasard les pages de mon Petit Larousse : dextre, senestre, canton, sable, sinople, enquerre… L’occasion était trop belle pour ne pas la saisir et je me mis aussitôt à la tâche. En bref, il me fallut près de deux ans d’efforts soutenus et de recherches poussées dans de vieux ouvrages spécialisés pour parvenir au résultat ci-haut reproduit, après plus de 43 essais successifs faits de repentirs et de retours à la case départ… Mais rendons à César ce qui lui revient de plein droit : le blason reproduit ci-dessus est l’oeuvre infographique de cet ami indéfectible, M. Jacques Dionne, le webmestre de ce site qui n’existerait pas sans lui… Le résultat définitif était si satisfaisant que je demandai à un maître-verrier de Québec, M. Jean-Yves Richard, de le réaliser sous forme de vitrail de bonnes dimensions, maintenant solidement suspendu devant une large fenêtre orientée vers le ponant, pour la lumière. Trois autres vitraux, de plus petites dimensions, ont été faits pour chacun de nos enfants, mais avec des brisures pour les puînés Renaud, Isabelle), seul l’aîné (Gabriel) pouvant hériter du blason original, selon les règles séculaires et sacrées de l’héraldique nobiliaire…

Pour l’instruction du lecteur curieux de cette sorte de plaisanterie bien innocente, voici la description des éléments ou Blasonnement (en italique : terme défini plus complètement dans le Lexique d’héraldique).

Forme de l’écu :  français moderne.

Écartelé : au champ d’azur à la croix d’argent alésée à la pointe et au chef, pal ancré au chef et fiché à la pointe, fasce ondée ;

Cantonné  d’une fleur-de- lis d’or au premier, d’une étoile du même au second, de trois besants d’argent taillés (posés) en barre au troisième, d’une poire tannée, feuillée et tigée au quatrième, le tout bordé d’argent et de sable ;

Sommé au chef  d’une perdrix d’argent juchée sur écot contournée à senestre, ayant comme devise en listel sinople aux plis d’or sous la pointe : Chartier ne verse.
Soit : 2 métaux (or et argent, les deux seuls utilisés en héraldique), 4 émaux (azur ou bleu pour le champ de l’écu, tan pour la poire, sable ou noir pour l’ancre et la bordure, sinople ou vert pour le listel).

Meubles . Limités à 5 : fleur-de-lis et étoile d’or, besants et cimier d’argent, poire tannée, tigée et feuillée.

Interprétation. Forme de l’écu : écu français dit moderne. Écartelé : divisé en 4 quartiers ou cantons.
Champ de l’écu azur : nos origines françaises. Parti en croix : notre culture chrétienne ; fasce ondée : ces « vagues » évoquent la dangereuse traversée de la mer océane par nos ancêtres au XVIIe siècle ; pal ancré, fiché, alésé, en pointe d’épée : allusion à Pierre Durand, chef de la dynastie du côté paternel, arrivé en1665 comme soldat du Régiment de Carignan.

Meubles. Fleur-de-lis d’or au 1er quartier (canton dextre du chef) : notre appartenance québécoise.
Étoile d’or au second quartier (canton senestre du chef) : l’appartenance acadienne de Gisèle.
Trois besants d’argent au 3e quartier (canton dextre de la pointe) : la profession (banquier) de Charles-Édouard Chartier (1903-1971) ; trois, parce que « trois estions en famille » ; taillés en barre (orientation senestre, moins « honorable », parce qu’il n’était qu’un très petit banquier : que la modestie ait préséance…)

Poire tannée, tigée et feuillée au 4e quartier (canton senestre de la pointe) : les origines normandes du côté maternel, les Poiré (le poiré est un dessert normand composé de poires, très abondantes – et délicieuses ! – en Normandie, ainsi qu’un alcool de poire aussi apprécié et « robuste » que le célèbre calvados…).
Bordé de sable : émail du Poitou, province d’origine des Durand (Blois) et des Chartier (Poitiers). La bordure interne d’argent, en forme d’orle, sépare l’émail de sable de l’émail d’azur de l’écu, afin de respecter une règle héraldique capitale : «  pas de métal sur métal, pas d’émail sur émail ».

Perdrix d’argent en timbre (sommée au chef). Allusion littéraire : les deux perdrix juchées sur écot (bûche) couché constituaient l’emblème d’Alain Chartier (Bayeux v. 1385-Avignon 1449), secrétaire des rois Charles VI et Charles VII, grand orateur politique (Le Quadriloge invectif ; il est qualifié de « père de l’éloquence française » par son contemporain Jean Bouchet) et poète renommé (La Belle Dame Sans Mercy, repris par le poète anglais Keats) mais sans filiation connue avec notre roturière famille, malgré les prétentions de notre (lointain) cousin généalogiste, Me Jean Robert-Chartier. D’où la perdrix contournée à senestre, en enquerre

Devise en listel (bandeau) : Chartier ne verse. Le sinople (vert) évoque la francophonie ontaroise, avec une légère touche d’or aux plis ou boucles.
Empruntée au vocabulaire des charretiers, le symbolisme de cette devise, susceptible de recevoir diverses interprétations, est livré à la sagacité des membres de notre clan. Quaerendo invenietis !  comme pour la résolution d’un célèbre canon musical baroque…

Symbolique des meubles.* — Le lis (lys). « D’après la légende, le lis est, comme la Voie lactée, issu du lait d’Héra, qui avait coulé sur la terre. La déesse de l’Amour, Aphrodite (Vénus), détestait cette plante dont elle jugeait l’apparence trop pure et innocente : elle le dota d’un pistil dont la forme rappelle le phallus d’un âne […] Contrairement à cette interprétation et s’inspirant sans doute en partie de la symbolique égyptienne où le lis était souvent attribué à Isis, avant que la rose ne le supplante, le lis devint pour le christianisme un symbole de l’amour pur et virginal. On représente souvent Gabriel, l’ange de l’Annonciation, avec un lis dans la main, de même que Joseph, le père nourricier de Jésus, ou que les parents de Marie, Joachim et Anne. »
(Le lis des champs, fleur mystique, est aussi l’attribut de nombreux saints, en particulier  Antoine de Padoue, Dominique, Philippe de Neri, Vincent Ferrier, Catherine de Sienne, Philomène, etc. Rappelons aussi qu’en Matthieu VI, 28, Jésus affirme que Salomon, dans toute sa gloire, n’était point aussi bien vêtu que l’humble lis des champs…).
Fleur d’amour mais aussi de gloire, elle est symbole de puissance générative à cause de la forme suggestive de son pistil, créé par Vénus elle-même. Fleur royale par excellence, sa forme l’apparente aussi à un sceptre, et son doux parfum fait fuir les serpents… « D’après la légende, un ange aurait offert un lis au roi Clovis (481-511) (il orne les armes des rois de France depuis 1179, qui l’auraient choisi comme gage de la perpétuité de la race royale… »
La poire. « Dans la Chine ancienne, la poire (il) était un symbole de longévité. Comme le mot li désigne également la séparation, les amoureux et les amis ne devaient ni couper ni se partager aucune poire. […] La forme évasée vers le bas de la poire évoque la silhouette d’une femme au large bassin, et c’est sans doute pourquoi ce fruit possède une signification sexuelle dans la symbolique analytique. »

Citations tirées de la remarquable Encyclopédie des symboles publiée sous la direction de Michel Cazenave, Paris, Le Livre de Poche, 1996 (La Pochothèque), s. v. Lis, Poire. 14. XII. 2014